Critique ciné : Total Recall - Mémoires Programmées

À l'origine, il y a une courte nouvelle de Philip K. Dick intitulée "We Can Remember It For You Wholesale" ("De Mémoire D'Homme", "Souvenirs Garantis, Prix raisonnables" ou "Souvenirs À Vendre" selon les différentes versions en VF) parue en 1966 et re-publiée depuis dans divers recueils.

Ne lisez pas les 2 paragraphes qui suivent si vous ne connaissez pas du tout l'histoire de "Total Recall" et que vous souhaitez ne pas vous faire spoiler !

Il y est question de Douglas Quail, un homme ordinaire qui souhaite se rendre sur Mars mais qui n'a pas les moyens de se payer le voyage. Il fait donc appel à la société Rekal Inc. pour se faire implanter des faux souvenirs de la planète rouge, mais le processus est avorté avant même que les faux souvenirs ne soient implantés car le tranquillisant qu'on lui injecte lui rappelle qu'il est en fait un agent secret qui a déjà été sur Mars et qui se retrouve pourchassé par la police. Mais tout ce qu'il est en train de vivre... n'est-ce pas précisément ce qu'il avait demandé à Rekal, à savoir être un agent secret ayant déjà été sur Mars et vivant des aventures trépidantes ? On retrouve dans ce récit une constante de la littérature de Philip K. Dick : la réalité d'un homme ordinaire qui finit par basculer à tel point qu'il devient extrêmement difficile de discerner le vrai du faux.

Le mangaka Buichi Terasawa s'inspirera fortement de cette histoire pour son manga "Space Adventure Cobra" publié au Japon à partir de 1978 (qui engendrera le film animé et la célèbre série TV de 1982, suivis de nouveaux OAV et d'une nouvelle série TV en 2008/09). Cette histoire débute en effet par un simple citoyen nommé Johnson, lassé de son train-train quotidien, qui se rend dans une société qui vend des rêves personnalisés et y achète un songe où il est Cobra, un célèbre aventurier équipé d'un "Psychogun" ("Rayon Delta" en VF) à la place de son bras gauche et recherché depuis des années par les pirates de l'espace de toute la galaxie. Or, suite à ce rêve, il s'avère que Johnson est réellement Cobra et qu'il avait lui-même altéré sa mémoire et son visage pour échapper aux pirates de l'espace. Buichi Terasawa se sert uniquement de cette situation comme point de départ, et ne reprend pas l'ambiguité du récit de Philp K. Dick. (Le réalisateur français Alexandre Aja souhaite adapter Cobra sous la forme d'un long-métrage "live" qui pourrait sortir en 2013. Reprendra-t-il cette introduction ?)

Ce qui a fait connaître le récit d'origine au grand public, c'est bien évidemment sa libre adaptation nommée "Total Recall" réalisée par Paul Verhoeven et sortie en 1990 (3 ans après "Robocop" du même réalisateur), avec un Arnold Schwarzenegger au sommet de sa gloire dans le rôle du personnage principal ici renommé Doug Quaid qui fait appel à la société Rekall (avec 2 "L"). Le film fit un carton à sa sortie malgré sa grande violence visuelle (une habitude chez Verhoeven) et lança notamment la carrière de Sharon Stone, jusque-là plutôt méconnue mais qui devint une star internationale 2 ans plus tard grâce à "Basic Instinct", toujours réalisé par Paul Verhoeven. "Total Recall" est aujourd'hui devenu un classique de la science-fiction au cinéma, malgré son côté très popcorn et le jeu "particulier" d'Arnold Schwarzenegger. Le thème principal du film, composé par Jerry Goldsmith, est également resté dans les mémoires, mais il faut avouer que le style visuel du film très ancré dans la fin des années 80 a plutôt mal vieilli et paraît bien kitsch, malgré les excellents effets visuels créés à l'époque par Rob Bottin (surtout connu pour ses travaux sur "The Thing" en 1982, la trilogie "Robocop", "Basic Instinct", "Se7en", le premier film "Mission  : Impossible", "Las Vegas Parano" ou encore "Fight Club").

Mais pas au point de nécessiter un remake... On apprit pourtant en 2009 que Kurt Wimmer (scénariste à Hollywood mais également réalisateur de "Equilibrium" et "Ultraviolet") travaillait sur le script d'un tel remake avec l'aide de Mark Bomback (auteur des scénarios de "Die Hard 4" et "Unstoppable") tandis que James Vanderbilt (auteur du scénario de l'excellent "Zodiac" de Fincher mais aussi de celui de "The Amazing Spider-Man" de Marc Webb) effectuait les dernière corrections. En 2010, le réalisateur Len Wiseman ("Underworld", "Underworld : Evolution" et "Die Hard 4") était engagé à la tête du projet et c'est début 2011 que Colin Farrell ("Tigerland", "Minority Report", "Phone Game", "Daredevil", "Miami Vice") fut annoncé comme le nouvel interprète de Doug Quaid, piquant ainsi la place à Michael Fassbender ("300", "Inglorious Basterds", "X-Men Le Commencement", "Prometheus") et Tom Hardy ("Bronson", "Inception", "The Warrior", "The Dark Knight Rises") qui étaient également très proches d'obtenir le rôle. Kate Beckinsale (la saga "Underworld") reprend le rôle de Lori, la femme de Quaid (autrefois interprétée par Sharon Stone), tandis que Jessica Biel (le remake de "Massacre À La Tronçonneuse", "Blade : Trinity", "Next", "L'Agence Tous Risques") hérite du rôle de la résistante Melina (autrefois tenu par Rachel Ticotin). Pour compléter le casting des rôles principaux, le très bon Bryan Cranston ("Drive", "John Carter", "Red Tails" et surtout la série "Breaking Bad") reprend le rôle de l'impitoyable Cohaagen (autrefois tenu par le génial Ronny Cox, également vu dans "Le Flic De Beverly Hills" I & II ainsi que dans "Robocop") tandis que l'excellent et éclectique Bill Nighy ("Love Actually", "Underworld", "Shaun Of The Dead", "H2G2", "Underworld : Evolution", "Valkyrie", "Underworld 3 : Le Soulèvement Des Lycans", "Good Morning England", etc...) interprète le chef de la résistance nommé ici Matthias (alors qu'il s'appelait Kuato dans le film de 1990, sous les "traits" de Marshall Bell).

Au cours de la production puis de la promotion de "Total Recall - Mémoires Programmées", le film est successivement présenté comme un remake du film de Paul Verhoeven, puis plutôt comme une nouvelle adaptation de la nouvelle de Philip K. Dick ou enfin comme s'éloignant du récit de K. Dick. Sachant qu'on a appris assez tôt qu'il n'y serait pas question de la planète Mars mais que la femme à 3 seins y serait bien présente, il est difficile de savoir ce qu'il faut croire... Alors qu'en est-il vraiment, et surtout ce remake est-il vraiment nécessaire ?


L'histoire : suite aux guerres chimiques du XXIème siècle, le monde est désormais séparé en 2 nations : l'Union Fédérale Britannique d'un côté du globe, et la Colonie de l'autre côté. Douglas Quaid est un simple ouvrier lassé de sa vie de tous les jours qui aimerait bien se débarrasser des rêves étranges qu'il fait toutes les nuits où il est en compagnie d'une femme qu'il ne connait pas. Après avoir longuement hésité, il fait appel aux services de la société Rekall pour se faire implanter des souvenirs artificiels où il serait un agent secret. Mais l'opération tourne mal et la situation dérape totalement pour Quaid qui ne sait plus qui il est vraiment et se retrouve pourchassé par les forces de police...

Le film de Len Wiseman s'inspire largement plus de celui de Verhoeven que du récit original de Philip K. Dick, on penchera donc plutôt pour un remake ! Pourtant, de nombreux éléments importants sont modifiés comme par exemple le fait que la femme de Quaid soit ici le bras droit de Cohaagen, effaçant ainsi le personnage de Richter pourtant très présent dans le film d'origine (où il était interprété par Michael Ironside). Mais le changement le plus important est bien sûr celui qui concerne l'absence de la planète Mars. Bien qu'étant discrètement évoquée, la planète rouge n'est pas visible dans le film et ne se trouve absolument pas au centre des préoccupations. À la place, il est question de deux nations à la fois liées et opposées, et les plans de Cohaagen les concernant sont brièvement exposés au spectateur mais demeurent assez confus et surtout très peu crédibles (un comble quand on se dit que les problèmes des mutants martiens du film d'origine étaient nettement plus convaincants).

Malgré ces différences flagrantes, Len Wiseman distille dans son film de nombreux éléments renvoyant directement au "Total Recall" de Paul Verhoeven, reprenant même la fameuse réplique "If I'm not me... who the hell am I ?" quasiment à l'identique (en VO). On retrouve donc également des références à la scène de la double-amputation de Richter (mais dans un autre contexte et dénuée de toute violence), la femme corpulente de la fameuse scène du contrôle d'identité, ou encore l'inoubliable prostituée aux 3 seins. Sauf que ces références gratuites ne servent ici strictement à rien ! Pire, quand on y réfléchit un instant, certaines d'entre-elles n'ont même pas lieu d'être : la femme aux 3 seins prenait tout son sens sur une planète Mars peuplée de mutants, mais puisqu'il n'est ici question ni de Mars, ni de mutants, d'où sort-elle et à quoi sert-elle ?

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)
(L'actrice Kaitlyn Leeb qui interprète la nouvelle femme à 3 seins sur le stand "Total recall" de la Comic Con de San Diego en juillet 2012)

Puisque les enjeux globaux du scénario ne sont ni clairs, ni vraiment intéressants (et qu'ils se payent le luxe de comporter quelques incohérences), qu'en est-il de la situation de Doug Quaid et de la double lecture de ce qui lui arrive ? Pas grand-chose en fait... Déjà, Colin Farrell n'est pas très crédible en ouvrier lambda rêvant d'une vie meilleure avec son look de minet bodybuildé. À la limite, Schwarzy était plus crédible en travailleur du bâtiment ! Mais surtout, l'air ahuri permanent de l'acteur fait qu'on ne s'attache pas vraiment à lui ni à ce qu'il fait. Quant à la double réalité de sa situation, le réalisateur Len Wiseman se contente d'une lecture très classique en disséminant quelques indices qui ne distrairont le spectateur que quelques secondes là où Paul Verhoeven avait su intégrer cette dualité dans de nombreux aspects de sa réalisation, ce qui permet à son film d'être vu et revu sans se lasser afin d'y retrouver tous les éléments troublants qui nous échappent au premier visionnage.

Malheureusement, les autres bons acteurs impliqués dans le projet se voient également confier des personnages basiques et quasi-caricaturaux, comme c'est le cas des pourtant très brillants Bryan Cranston et Bill Nighy ! Kate Beckinsale en fait des tonnes et tente de s'imposer comme un ennemi redoutable en nous resservant le type de chorégraphies "action-girl" déjà largement éprouvées dans la saga "Underworld". Pourtant, il est difficile de croire à son personnage vu la corpulence de l'actrice à côté de tous ces hommes aux carrures imposantes, sans parler du fait qu'elle se contente souvent de froncer les sourcils en penchant la tête pour bien montrer qu'elle est méchante. Kate Beckinsale prouve donc une nouvelle fois que son plus grand talent d'actrice se résume à son joli petit cul serré dans du latex moulant au sein de la saga "Underworld" (et encore, même cela ne suffit plus à rendre intéressant le dernier film de la saga). Étonnamment, la seule à tirer son épingle du jeu dans "Total Recall - Mémoires Programmées" est Jessica Biel qui nous sert un personnage à la fois fort et sensible, tout en retenue et en émotion.

(Sérieusement, vous la trouvez crédible Kate Beckinsale en chef de la sécurité en talons sur le terrain ?)

Côté réalisation, Len Wiseman se prend pour J.J. Abrams ("Mission : Impossible 3", "Star Trek", "Super 8") en collant des halos lumineux dans la plupart de ses plans. Mais n'est pas J.J. Abrams qui veut... Et à part le plan séquence tournoyant largement retouché qu'on pouvait déjà voir dans la bande-annonce, il n'y a pas grand-chose de novateur ou d'intéressant à se mettre sous la dent dans "Total Recall - Mémoires Programmées" à part une succession de scènes d'action pendant deux heures ! Même du côté du design, ça n'est pas très original puisque l'Union Fédérale Britannique rappelle fortement "Minority Report" (2002) tandis que la Colonie s'inspire très fortement de la densité urbaine pluvieuse aux accents asiatiques de "Blade Runner" (1982). Peut-être est-ce fait exprès, vu que "Blade Runner" et "Minority Report" (dans lequel jouait également Colin Farrell) sont également des adaptations de récits de Philip K. Dick, au même titre que "Next" dans lequel Jessica Biel avait déjà un rôle. Mais si c'est le cas, ce n'est ni original ni très intéressant comme démarche...

Côté musique, les fans de la saga vidéo-ludique "Metal Gear Solid" reconnaîtront certainement le style du compositeur Harry Gregson-Williams, mais celui-ci se contente du strict minimum pour un film d'action hollywoodien et ne propose aucun thème dont on se souviendra quelques secondes après l'avoir entendu.



Avec "Total Recall - Mémoires Programmées", Len Wiseman passe totalement à côté de la richesse du récit de Philip K. Dick et se contente d'aligner les scènes d'action au détriment d'un scénario aux bases pourtant riches (même le gros twist du dernier quart du film de Verhoeven est ici annoncé beaucoup plus tôt, ce qui désamorce complètement son effet lorsqu'il se produit). Ça court, ça saute, ça tire, ça explose, mais ça oublie de raconter une histoire avec des personnages profonds et travaillés ! Pour se vider la tête devant un blockbuster pendant deux heures, ça suffit amplement ! Mais pour voir de la science-fiction à gros budget et de qualité, il vaut mieux passer son chemin...

Le "Total Recall" de 1990 avait peut-être les défauts symptomatiques (voire caricaturaux) du cinéma d'action de cette époque, mais il avait au moins le bon goût de raconter une histoire bien plus subtile qu'elle n'en a l'air grâce à de nombreuses astuces de réalisation, sans oublier une bonne dose de violence et d'humour. Or "Total Recall - Mémoires Programmées" est totalement dénué d'humour et propose une action omniprésente mais totalement édulcorée de la moindre goute de sang. Le politiquement correct visuel (sans parler du scénario dont les enjeux sociaux et humains passent complètement à la trappe), ça plait sûrement beaucoup aux exécutifs des grands studios, mais ça n'est pas très divertissant pour le public en attente de qualité et d'originalité !

"Total Recall - Mémoires Programmées" se laissera éventuellement facilement voir (et oublier) par ceux qui n'ont jamais vu le film de Paul Verhoeven et qui n'en connaitraient pas du tout l'histoire. Quoique, même à ceux-là, je conseillerais plutôt de voir le film de 1990 devant lequel on passe un bon moment quoiqu'il arrive (malgré son aspect visuel daté) alors que je me suis ennuyé devant le beau (et encore !) mais très creux film de Len Wiseman...



Après avoir insulté la saga "Die Hard" avec son "Die Hard 4" complètement hors-sujet, Len Wiseman récidive donc dans la médiocrité avec "Total Recall - Mémoires Programmées" et rejoint ainsi Paul W. Anderson (la saga "Resident Evil") au titre des réalisateurs ne sachant rien faire d'autre que des films bruyants avec leur propre femme (Milla Jovovich dans le cas d'Anderson, Kate Beckinsale dans le cas de Wiseman) en super-guerrière invincible et prenant bien trop de place à l'écran ! Lamentable...

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