Critique ciné : Looper

Avant "Looper", Rian Johnson n'a jamais vraiment réalisé de films d'action ou de science-fiction. En effet, ses deux premiers films, "Brick" en 2005 et "Une Arnaque Presque Parfaite" en 2008, étaient plutôt des long-métrages conceptuels, certes originaux, mais qui avaient tendance à se perdre en route avec le risque de perdre le spectateur en chemin. C'est d'ailleurs le risque du film concept : tourner en rond une fois que le concept a été bien assimilé (exactement comme le récent "Time Out" dont l'idée de départ était très bonne mais ne débouchait malheureusement sur rien de bien passionnant).

Mais ce qui rend "Looper" immédiatement sympathique (également comme "Time Out" d'ailleurs), c'est le fait qu'il s'agisse d'un film de science-fiction à faible budget, ce qui signifie qu'en théorie les effets visuels seront rares (mais avec un peu de chance, de qualité !) et que le principal intérêt du film sera son histoire. Et rappelons-le, jusqu'ici Rian Johnson a écrit tous ses films !

Le budget de "Looper" s'élève donc à 30 millions de dollars, c'est à dire 10 millions de moins que "Time Out" et (si on prend un film récent où les éléments de SF n'étaient pas omniprésents et qui n'était pas un blockbuster) 80 millions de moins que "Real Steel". On imagine donc aisément que Bruce Willis a dû baisser son salaire pour que le film se fasse (il l'avait déjà fait pour "L'Armée Des 12 Singes" en 1995) et que son collègue Joseph Gordon-Levitt n'a pas été trop gourmand non-plus, malgré les énormes succès au box-offices où on a pu le voir récemment comme "Inception" ou "The Dark Knight Rises" (et qui interprétait également le personnage principal de "Brick" de Rian Johnson)

Alors, est-ce que toutes ces bonnes conditions ont aidé à faire de "Looper" un petit film de science-fiction intéressant et original ?


L'histoire : en 2044, Joe Simmons est un Looper. Cela signifie qu'il est grassement payé par le crime organisé pour tuer des gens qui viennent du futur. Car c'est seulement en 2074 que le voyage dans le temps a été inventé, et celui-ci est essentiellement utilisé par les malfrats pour envoyer des gens dont ils voudraient se débarrasser vers le passé. Mais la vie de Joe va basculer lorsqu'il va se retrouver face à lui-même, plus vieux et venu du futur, et qu'il va laisser échapper sa proie, ce qui le met lui-même en danger face à ses employeurs...

Il est impossible de ne pas remarquer dès les premiers instants du film que l'apparence physique de Joseph Gordon-Levitt a été modifiée afin qu'il ressemble à Bruce Willis (c'était d'ailleurs assez visible dans les trailers également). Si l'effet général est plutôt correct, cela dépend tout de même pas mal de l'éclairage de la scène car les lentilles bleues du jeune acteur ressortent beaucoup trop dans les environnements clairs en comparaison des yeux de Bruce Willis (surtout lorsque les deux acteurs sont face à face). Et même si Joseph Gordon-Levitt n'est pas encore une énorme star au point qu'on puisse être choqué par ces modifications, on voit bien que son nez ne s'intègre pas très bien dans son visage. Mais tout ça n'est pas bien grave, car on n'y pense plus du tout après une bonne demi-heure de film et de toute façon on savait bien que le budget n'était pas faramineux. On notera d'ailleurs que Joseph Gordon-Levitt imite légèrement les mimiques de Bruce Willis dans certaines scènes, mais c'est extrêmement discret et la plupart des spectateurs ne le verront même pas. Il faut également préciser que les rares images de synthèse présentes dans le film sont extrêmement bien intégrées (en général dans les décors) et sont d'une très grande qualité. Rian Johnson a donc fait le bon choix : en montrer assez peu mais toujours montrer de la qualité ! Le reste de l'identité visuelle du film se contente (pour les environnements urbains) de décors très 2012 mais un peu salis et vieillis, et on a dans l'ensemble un peu de mal à croire que tout ça se déroule en 2044. Heureusement, de nombreuses scènes se déroulent à la campagne où il n'y a quasiment aucun élément qui pourrait dire à quelle époque se déroulent les faits et c'est encore un bon choix de la part du réalisateur qui a plutôt mis l'accent sur son scénario original et complexe.

Car n'allez pas croire que vous avez déjà tout compris à l'histoire en ayant vu la bande-annonce de "Looper" ! Des éléments déterminants du scénario ainsi que des personnages sont totalement absents de la campagne de promotion du film, et même si le long-métrage parle bien de voyage dans le temps et des difficultés éprouvées par un personnage face à une version plus âgée de lui-même, l'histoire est nettement plus complexe que ce qu'elle a l'air d'être de prime abord. D'ailleurs celle-ci se dévoile tout au long du métrage et prend bien son temps pour le faire car les bizarreries temporelles sont toujours délicates à aborder ou à expliquer. À tel point que Rian Johnson va même jusqu'à faire dire à ses personnages principaux qu'il ne vaut mieux pas trop chercher à comprendre tous les détails au risque de tomber sur des impossibilités. Malin ! Et plutôt bien vu comme auto-critique du genre... En tout cas le spectateur a tout le loisir de réfléchir aux situations qui lui sont montrées, et il en a même bien besoin car rien n'est simple dans "Looper", ni les rebondissements, ni la place des personnages eux-mêmes ! Du coup, il sera plutôt agréable pour le spectateur de ne pas être pris pour un imbécile et d'être invité à réfléchir aux situations nettement moins manichéennes que la plupart des standards hollywoodiens (à condition d'aimer ça bien sûr). D'ailleurs, le scénario de "Looper" ose même s'aventurer dans des domaines très politiquement incorrects qu'on en verrait jamais chez les gros studios hollywoodiens. Ça laisse (volontairement) un goût amer dans la bouche mais c'est évidemment bienvenu face aux situations de plus en plus lisses et conventionnelles visibles au cinéma aujourd'hui. Encore un bon point pour "Looper" !



Quant aux acteurs, inutile de s'attarder sur les prestations de Bruce Willis ou Joseph Gordon-Levitt puisque ceux-ci nous délivrent exactement le type de performance qu'on attend d'eux, même si le jeu de Bruce Willis s'avère plus nuancé (et donc plus intéressant) que dans ses films d'action habituels. Le premier rôle féminin interprété par Emily Blunt ("Le Diable S'Habille En Prada", "Wolfman", "L'Agence") manque un peu de profondeur de prime abord, mais son personnage s'épaissit au cours du métrage et elle finit par être vraiment intéressante malgré un jeu peut-être un tout petit peu trop superficiel de l'actrice qui n'est malheureusement pas tout à fait crédible dans le rôle, mais on le lui pardonne aisément car elle est très mignonne...
Du côté des gangsters par contre, il y a de gros soucis avec deux personnages : le chef nommé Abe et interprété par Jeff Daniels ("Arachnophobie", "Speed", "Dumb And Dumber") ne représente pas la moindre menace et ressemble à mon avis à une grosse erreur de casting puisque l'acteur dont on se souvient surtout pour son rôle comique aux côtés de Jim Carrey ne parvient pas à insuffler le moindre charisme à son personnage qui est pourtant à la tête d'une bande de tueurs qui ne rigolent pas du tout ! Très étrange d'avoir choisi cet acteur là, heureusement qu'on ne voit pas son personnage trop souvent dans le film ! L'autre antagoniste qui pose problème dans le film est Kid Blue (interprété par Noah Segan). Ce n'est pas l'acteur qui est en cause, mais plutôt son personnage très mal travaillé et manquant cruellement de profondeur alors qu'on nous le présente très tôt comme quelqu'un qui veut faire ses preuves à tout prix. Quasiment toutes ses scènes tombent à plat, et l'effet comique qu'il est censé produire ne prend pas du tout tant il est amené de façon trop maladroite ou trop grossière. Bizarre comme faute de goût au milieu de ce film pourtant très sérieux !

Pour finir, notons la performance vocale du doubleur français habituel de Bruce Willis qui se nomme Patrick Poivey et qui double également Joseph Gordon-Levitt dans "Looper" mais avec une voix moins grave et moins rocailleuse, ce qui apporte un peu plus de crédibilité à l'ensemble.



Malgré quelques petits défauts par ci par là, "Looper" est une excellente surprise bien plus riche et tordue que ce qu'elle a l'air d'être ! On notera tout de même un gros changement de rythme en plein milieu du film, lorsque l'action ralentit de façon drastique après avoir commencé sur les chapeaux de roue, pour ne seulement re-décoller qu'à la toute fin du métrage. Il ne faut donc pas vouloir voir "Looper" comme un gros film d'action, mais plutôt comme une réflexion en profondeur sur les voyages dans le temps avec leurs incohérences et leurs conséquences parfois fâcheuses !

Il s'agit donc d'un film prenant, émouvant et déstabilisant qu'il faut soutenir car les projets de ce genre sont tellement plus intéressants que la soupe SF que nous servent habituellement les gros studios ! Même si je n'avais pas forcément apprécié ses deux premiers films, je vais continuer de suivre la carrière du scénariste/réalisateur Rian Johnson avec le plus grand intérêt...

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