Critique ciné : Cloud Atlas

En 2009, le Scénariste/réalisateur/compositeur allemand Tom Tykwer ("Cours, Lola, Cours" et "Le Parfum, Histoire d'Un Meurtrier") révélait son intention d'adapter le roman de David Mitchell sorti en 2004 et nommé "Cartographie Des Nuages". L'info serait presque passé inaperçue s'il n'avait pas également annoncé que Lana et Andy Wachowski ("Bound", la trilogie "Matrix", "Speed Racer") étaient en train de l'aider à écrire le script. L'enthousiasme autour du film a fortement grandi à partir de 2011, lorsqu'on a appris que les Wachowski ne se contenteraient pas de co-écrire le script et qu'ils allaient également le co-réaliser en compagnie de Tykwer. Il faut dire que le roman d'origine est réputé pour être particulièrement difficile à adapter (voire carrément inadaptable) puisqu'il contient pas moins de six histoires différentes, chacune se déroulant à une autre époque et avec des personnages différents, même si certains protagonistes et personnages se croisent dans certaines histoires qui se révèlent être toutes connectées entre-elles d'une manière ou d'une autre. Mais après tout, "Le Parfum, Histoire d'Un Meurtrier" était également réputé inadaptable jusqu'à ce que Tykwer surprenne tout le monde avec son film très réussi en 2006.

Même si le projet "Cloud Atlas" (puisque c'est le titre original du livre et que le film garde ce nom à l'international) est avant tout allemand, la participation des Wachowski attire l'attention d'Hollywood et de nombreux acteurs de renom comme Tom Hanks, Halle Berry, Hugo Weaving, Jim Broadbent, Susan Sarandon et Hugh Grant rejoignent le casting. Ils sont entourés d'acteurs plus jeunes comme Jim Sturges, James D'Arcy Doona Bae et Ben Whishaw (qui tenait déjà le rôle principal dans "Le Parfum, Histoire d'Un Meurtrier" et qu'on a pu voir en tant que nouveau Q dans "Skyfall"). Tous ces acteurs jouent dans quasiment toutes les histoires de "Cloud Atlas", mais en interprétant des personnages différents et surtout d'importances différentes. On retrouve donc Jim Sturgess dans le rôle de l'avocat Adam Ewing qui rédige son journal alors qu'il traverse l'océan pacifique en 1849, un journal qui est trouvé et lu par le jeune musicien bisexuel Robert Frobisher (Ben Whishaw) qui tente de composer un chef-d'œuvre dans l'Angleterre de 1936, la journaliste Luisa Rey (Halle Berry) qui enquête sur la sécurité d'un projet de centrale nucléaire à San Francisco en 1973, un éditeur littéraire nommé Timothy Cavendish (Jim Broadbent) qui tente d'échapper aux collaborateurs violents de l'un de ses clients qui purge une peine de prison dans l'Angleterre de 2012, une serveuse clonée nommée Somni-451 (Doona Bae) qui va découvrir l'existence d'un mouvement rebelle dans le Neo Séoul de 2144, et enfin les aventures de Zachry (Tom Hanks) dans un futur post-apocalyptique et dystopique situé en 2321.

(Une expérience hors du commun... encore faut-il avoir la chance de le voir projeté près de chez soi !)

Contrairement au livre d'origine ou ces histoires sont partiellement racontées une à une dans l'ordre chronologique jusqu'au moment où on atteint le point le plus éloigné dans le futur avant de revenir en arrière pour conclure chaque histoire en remontant progressivement jusqu'au point le plus éloigné dans le passé, le film choisit de raconter toutes les histoires en même temps ! Présenté comme ça, cela peut paraître propice à la confusion et à la perte du spectateur si celui-ci ne reste pas ultra-concentré pendant l'intégralité du métrage, mais heureusement le montage (qui pourra sembler brutal quand on passe d'une histoire à l'autre pendant les premières minutes forcément déconcertantes) et le découpage des histoires est géré de façon très intelligente et minutieuse. Chacun des destins qui nous est conté possède un ton et une ambiance résolument différents de l'un à l'autre et une fois que l'on a bien identifié les principaux protagonistes et les époques, on s'y retrouve très facilement et on se surprend même à penser à une histoire en particulier pendant qu'on est en train d'en voir une autre. Cela nous est parfois même imposé puisqu'il arrive que l'on entende la voix-off d'un personnage d'une histoire tandis que l'on voit les images d'une autre, mais, aussi étrange que cela puisse paraître, au lieu d'être une occasion pour dérouter le spectateur, ces passages permettent de mettre en lumière les liens (plus ou moins évidents selon les cas) qui relient les histoires entre-elles. On se sentira donc (forcément) un peu perdus pendant les 10 ou 15 premières minutes du film, mais il sera ensuite impossible de décrocher une seule seconde de ce film s'étend pourtant sur 2h50 de durée totale.

Le seul acteur qui ait, non-pas un rôle récurrent, mais un rôle similaire de méchant dans toutes les histoires est Hugo Weaving dont les Wachowski ont révélé le grand talent lorsqu'ils lui ont confié le personnage de l'agent Smith dans la trilogie "Matrix" (un talent qu'il confirme une fois de plus, si toutefois une telle confirmation était réellement nécessaire). Les différents acteurs sont donc omniprésents dans tous les aspects du long-métrage, et si on les reconnaitra parfois aisément dans des apparitions quelque-fois très furtives, on sera également surpris de constater (grâce au générique de fin) qu'il y a également eu de nombreux passages où on ne les a pas reconnus. Mais le fait de faire figurer tous les acteurs dans à peu près toutes les histoires aboutit parfois à des bizarreries visuelles susceptibles de sortir certains spectateurs du film. On pensera notamment au fait de retrouver un Jim Sturgess maquillé de manière à lui donner des traits asiatiques dans l'histoire de Neo Séoul qu'il partage avec l'actrice coréenne Doona Bae. Il est impossible de ne pas se rendre compte que l'on n'a pas affaire à un véritable personnage d'origine asiatique (et celui-ci n'est que l'exemple le plus flagrant du film qui en comporte quelques autres du même genre), mais il vaut mieux accepter rapidement ce parti-pris visuel sous peine d'être régulièrement maintenu hors du film qui comporte également quelques costumes et maquillages et costumes outranciers un peu déstabilisants, surtout lorsqu'on vient de voir le même acteur très sobrement maquillé et habillé quelques instants auparavant. Et plutôt que de bloquer sur l'apparences des acteurs, il ne faudra surtout pas oublier de noter leurs interprétations parfois incroyablement différentes d'une histoire à l'autre. On se souviendra forcément de toutes les incarnations de Tom Hanks (qui est certainement le plus reconnaissable, quel que soit son look) qui prouve à quel point il peut être un très grand acteur puisqu'il est capable de nous émouvoir, de nous faire peur, de nous faire rire ou de nous irriter selon ses apparitions. Idem pour Jim Sturgess ou Jim Broadbent, tandis que Halle Berry fera preuve d'un peu moins de variété, non-pas parce-qu'elle joue mal, mais plutôt parce-que ses personnages sont généralement très posés.

(Quelques scènes assurent un lien direct entre deux histoires, mais certains liens sont moins évidents...)

Il est impossible également de ne pas souligner la variété visuelle du film car chaque histoire a son style visuel propre, par le biais des costumes et des décors, mais aussi des lumières et du grain d'image utilisé. Prenons par exemple l'histoire de la journaliste en 1973 : on pourrait vraiment croire à un film de 1973 tellement tous les détails ont été bien pensés ! Et le plus impressionnannt c'est que cela ne jure pas du tout avec par exemple le Neo-Séoul de 2144 qui est pourtant rempli de plans en images de synthèse et qui est éclairé d'une manière totalement différente. Comment les trois réalisateurs ont-ils réussi à faire passer tout ça aussi brillamment ? Difficile à dire en fait, car cela tient peut-être surtout dans la force de toutes les histoires contées qui oscillent également entre des genres très différents comme la comédie pure, le drame, l'aventure ou la romance. Et il ne faut pas oublier de dire que les six films (si on choisit de les séparer de cette façon) sont tous extrêmement réussis dans leur genre respectif. Signalons d'ailleurs que Tom Tykwer a réalisé les histoires qui se déroulent en 1936, 1973 et 2012, tandis que les Wachowski se sont chargés des scénarios de 1849, 2144 et 2321, ce qui explique peut-être pourquoi tous ces segments ont des identités visuelles différentes.

Même s'il est très difficile de brosser tous les aspects de "Cloud Atlas" dans une seule critique écrite, il ne faut pas oublier de dire un mot de la musique (co-composée par Tom Tykwer qui avait d'ailleurs déjà contribué à la musique de "Matrix Revolutions") qui accompagne le film car celle-ci est à la fois émouvante, forte et inoubliable parce-qu'elle est de grande qualité, mais aussi parce-qu'elle est directement intégrée à l'histoire (globale) du film. Encore un aspect qui a été géré avec intelligence et finesse !



"Cloud Atlas" est donc une expérience à part entière, une expérience à vivre (et à revivre) au cinéma pour en saisir toute l'intensité et la puissance, une expérience rondement menée dans toutes ses composantes, et portée par une troupe d'acteurs visiblement dédiés au projet (notamment Tom Hanks qui a sauvé le film à de nombreuses reprises durant le tournage, grâce à son enthousiasme qui entrainait tout le monde dans son sillage alors que les studios tentaient d'annuler ce projet dans lequel ils ne croyaient plus). Les spectateurs qui seraient dans l'attente d'un nouveau cap visuel qui serait franchi par les Wachowski devraient se délecter de divers plans à couper le souffle comme l'incroyable séquence de la chute du pont en 1973, sans parler de la course-poursuite ultra-colorée à Neo Séoul en 2144. Des plans très réussis dans l'ensemble même s'ils ne sont peut-être pas aussi révolutionnaires que ce à quoi on avait été habitués de la part des ces réalisateurs visionnaires qui n'ont en tout cas rien perdu de leur grand talent dans le domaine de la mise en scène.

"Cloud Atlas" ne plaira peut-être pas à tout le monde, car il faut tout de même avoir envie de se laisser porter dans une construction aussi inhabituelle, mais on peut être relativement certain que beaucoup de spectateurs (aussi bien ceux qui ont aimé que ceux qui ont détesté) ressentiront le besoin de revoir le film à plusieurs reprises pour pouvoir le juger dans son ensemble et bien raccorder les morceaux de ce qui ne forme au final qu'une seule grande et magnifique saga à travers les âges !

Même si le film reçoit un accueil mitigé dans les salles, il ne fait aucun doute qu'il deviendra culte lors de sa sortie en vidéo ! Car si l'auteur de ces lignes est ému aux larmes rien qu'en revoyant la bande-annonce de Cloud Atlas, imaginez à quel point il brûle d'envie de revoir ce chef-d'œuvre en salles mais aussi dans les meilleures conditions domestiques possibles !

PS : J'ai eu la chance de voir "Cloud Atlas" en avant-première dans le cadre du 20ème Festival du Film Fantastique de Gérardmer et j'en suis très heureux quand je vois la distribution lamentable et le manque de promotion dont bénéficie ce chef-d'œuvre lorsqu'il sort enfin dans les salles françaises le 13 mars 2013, c'est-à-dire 5 mois après sa sortie aux Etats-Unis. Warner Bros France devrait avoir honte d'avoir tué un film aussi ambitieux (et au final très réussi) en ne lui laissant aucune chance de se rattraper après un box-office U.S. clairement pas à la hauteur de ce qu'il méritait !

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